LA DISPERSION DES ACADIENS

[Le Moniteur Acadien, le 2 mai 1901, page 7]

(Traduit du Sun, St-Jean, N.-B.)

Au commencement de sa conférence, Canon Brook annonce que le texte complet de son travail est " La légende d'Évangéline et l'Histoire de la Déportation des Acadiens de la Nouvelle-Écosse en l'année 1755 ".

Tout le monde, dit-il, a lu le beau poème de Longfellow, Évangéline, Tale of Acadia, et personne n'est resté insensible à la tendresse et au pathos de ce récit. On pourrait s'arrêter sur beaucoup de passages du poème et les savourer, mais le sujet à traiter est grand et il sera nécessaire de ne toucher que brièvement à cette pathétique histoire. Les péripéties de la vie d'Évangéline et de Gabriel depuis le moment de leur séparation sur les plages de la Nouvelle-Écosse jusqu'à leur rencontre au chevet de Gabriel mourant sont si bien connues de tous qu'il serait inutile d'en répéter ici le récit.

La légende a tiré son origine des faits historiques et c'est à ces faits historiques que le conférencier va donner son attention.

La déportation des Acadiens de Grand'Pré et des autres parties de la Nouvelle-Écosse eut lieu en 1755, sous le règne de George II ; quatre ans avant la prise de Québec et avant la mort de Wolfe, et trois ans avant la seconde prise de Louisbourg. À cette époque la France régnait, suprême, de Montréal et Québec jusqu'à la baie de Chignectou.

Pour bien comprendre la question, il faut remonter à la première conquête anglaise de la Nouvelle-Écosse. Sir William Alexander obtint de Jacques Ier le premier octroi de terre, qu'il nomma plus tard Nouvelle-Écosse. En 1710, Port-Royal capitula devant le général Nicholson, et on donna à cette place le nom d'Annapolis Royal. C'était la troisième et dernière fois que cette place tombait dans les mains de l'Angleterre, et sa reprise signifiait la conquête de l'Acadie.

Par le traité d'Utrecht, l'Acadie fut cédée à l'Angleterre ; mais ses limites ne furent pas déterminées, ce qui devint matière à litige. L'Acadie s'étendait-elle à la Nouvelle-Écosse seulement, ou comprenait-elle tout ce qui constitue maintenant les provinces maritimes ?

En vertu du même traité, les habitants de l'Acadie devinrent sujets de la Grande-Bretagne, qui leur accorda tous les privilèges. En considération de ces privilèges, ils furent requis de prêter le serment à la Grande-Bretagne, mais ils en furent empêchés par les autorités et les prêtres français. Le gouvernement de France fit tout son possible pour faire des Acadiens des ennemis de l'Angleterre et en ceci fut habilement aidé par le gouvernement de Québec, et des émissaires furent envoyés dans les provinces dans le but de soulever la haine contre l'Angleterre.

Les Acadiens n'avaient pas lieu de se plaindre. Ils n'étaient pas maltraités, mais étaient laissés parfaitement tranquilles et jouissaient du libre exercice de leur religion et autres pratiques. Rien n'était exigé d'eux, et ce fut peut-être la cause du trouble. La Nouvelle-Écosse était pratiquement négligée de la Grande-Bretagne et quoique les Français eussent abandonné leurs droits sur le pays, ils continuaient cependant à faire les plus grands efforts pour contrôler les Acadiens.

Vers le milieu du dix-huitième siècle, le gouvernement anglais parut sortir de sa léthargie et envoya à la fois des colons et des garnisons à la Nouvelle-Écosse. Halifax fut fondé et d'autres postes militaires furent établis.

Les Français n'avaient jamais pu se faire à la perte de l'Acadie et conservèrent toujours le grand désir de reprendre possession du pays ; mais la fondation de Halifax leur fit voir que l'accomplissement de ce désir ne serait pas tâche facile. Le harassement continuel infligé aux Anglais par les Sauvages était attisé par les Français. Le but en faisant ceci était d'empêcher les Anglais de former de nouveaux établissements, de les décourager et enfin de leur enlever le contrôle des Acadiens. Que les Acadiens aient été impliqués dans ces événements a été montré par des dépêches venant du gouvernement du Québec. Ils allèrent même au point, sous la direction du gouvernement du Québec, de se joindre sous déguisement aux bandes de maraudeurs Sauvages. Malgré tout ceci, les Acadiens furent traités avec une grande douceur par les Anglais, mais ce fut de la générosité dépensée en pure perte.

Cet état de choses demandait des mesures plus sévères et pour cette raison un gouverneur plus sévère était nécessaire. On trouva cet homme dans Lawrence, le troisième gouverneur, qui, dans toutes ses relations avec les Acadiens, fut habilement secondé par Shirley, le gouverneur de Massachusetts.

En ce temps, la souveraineté de l'Angleterre en Acadie était menacée. La France ayant soulevé les Acadiens, comme c'était bien connu,

était en tout honneur pour ainsi dire obligée de leur donner son appui, et de là, une invasion française était attendue.

Lawrence et Shirley comprirent la situation et résolurent de porter le premier coup. D'accord avec cette détermination, des volontaires firent voile de Boston le 22 mai 1755. Beauséjour capitula le 16 juin et peu de temps après le Fort Gaspereau fit de même. La possession de ces postes donnait à l'Angleterre la suprématie sur l'Isthme reliant la Nouvelle-Écosse au Nouveau-Brunswick.

Avant d'avoir recours aux mesures sévères, Lawrence fit tout en son pouvoir pour amener les Acadiens à la raison. Un bon nombre parmi eux se rendirent à Halifax en qualité de délégués, mais tous refusèrent de prêter le serment d'allégeance, ajoutant qu'ils préféraient perdre leurs terres que de prêter ce serment.

C'est alors qu'il fut résolu de déporter les Acadiens de leurs pays et de les disperser dans les autres colonies anglaises en Amériques. Monckton, Winslow et autres reçurent l'ordre de s'emparer de tous les habitants et de les transporter de l'Acadie à des points ordonnés par le gouverneur. Winslow, à qui fut confié le soin de diriger la dispersion à Grand-Pré, s'acquitta de sa tâche avec toute l'humanité possible. Le plan fut mis à exécution et la population acadienne dispersée le long de la côte à partir de Massachusetts jusqu'à la Georgie. Quelques-uns reprirent le chemin de la patrie et on en rencontre des villages à Digby, N.-É., et au Madawaska.

Le gouvernement français est directement à blâmer pour toutes les misères et les épreuves endurées par les Acadiens. Le gouvernement britannique commit une erreur en négligeant la Nouvelle-Écosse, erreur qu'elle répéta en 1884 en abandonnant le Transvaal. L'erreur nationale de 1884 fut suivie de la guerre qui sévit maintenant, et l'erreur nationale de 1718 à 1749 fut suivit de la dispersion des Acadiens.

La conférence terminée, le révérend W. O. Raymond proposant un vote de remerciements, dit qu'à grand nombre de gens l'expulsion des Acadiens paraissait avoir été un acte bien cruel, mais qu'il fallait la regarder comme nécessité militaire. L'Angleterre était blâmable d'avoir négligé la province, mais il nous paraîtra toujours que les mesures en apparences sévères étaient absolument nécessaires, et que le résultat ultérieur a été un grand bienfait.

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