L'EXPULSION DES ACADIENS

Non signé

[Le Moniteur Acadien, le 21 octobre 1887]

Le premier volume des " Collections of the Nova Scotia Historical Society ", pour l'année 1878, contient le journal de John Thomas, chirurgien dans l'expédition de Winslow en 1755, contre les Acadiens. C'est un récit abrégé des événements de chaque jour depuis le 9 avril 1755 au 31 décembre de la même année. Les faits rapportés dans ce journal se rattachent principalement à ce qui se passa à cette époque néfaste de notre histoire aux forts Beauséjour et Lawrence et aux localités environnantes. Nos lecteurs nous sauront gré de leur en donner les parties ayant trait à l'expulsion des Acadiens. Il faut remarquer que quoique cette mesure était en contemplation depuis nombre d'année, ce ne fut le 28 juillet 1755, un mois et douze jours après la chute du fort Beauséjour, et de ceux de la Baie Verte et de la Rivière Saint-Jean que le gouverneur Chas. Lawrence et son conseil décidèrent définitivement de mettre à exécution cet infâme et cruel projet. Trois jours plus tard, c'est-à-dire le 31 juillet, Lawrence envoyait des communications secrètes au colonel Monckton au fort Beauséjour, à Alexander Murray au fort Edward à Pésiguit, et au major John Handfield au Port-Royal, leur apprenant l'arrêt du conseil et leur enjoignant de s'emparer des Acadiens par n'importe quel stratagème. Pour exposer les faits sous leur vrai jour citons une partie de la lettre de Lawrence à Monckton. Voici : " Sur avis du conseil, il est déterminé qu'ils (les Acadiens) seront chassés de la province aussitôt que possible, et qu'on doit commencer par ceux qui sont établis dans les environs de l'Isthme (c'est-à-dire à Beauséjour, Au Lac, Tintamarre, Menoudie, Chipoudie, Memramcook, Petit-Coudiac, Baie-Verte, etc.) qui étaient armés et par conséquent n'ont aucun droit à des faveurs du gouvernement.

" À cette fin, il a été donné ordre que des navires soient envoyés avec la plus grande vitesse en haut de la baie pour les prendre à bord. Ces navires vous apporteront les instructions particulières sur la manière que vous aurez à (vous) débarrasser des Acadiens, des lieux de leur destination, et chaque autre chose nécessaire se rapportant à cette fin.

" En attendant, il faut de toute nécessité tenir cette mesure aussi secrète que possible, autant pour les empêcher de s'échapper, que pour emmener leurs bestiaux, etc. Afin de mieux atteindre le but, inventez un stratagème quelconque pour faire tomber en votre pouvoir les hommes, jeunes et vieux, principalement les chefs de famille, et les retenir prisonniers jusqu'à l'arrivée des transports, de manière qu'ils soient prêts pour être transportés ; car quand ceci sera accompli, il y a aucune crainte que les femmes et les enfants essaient de s'éloigner et d'emmener les bestiaux. Mais pour les empêcher d'entreprendre ce projet, il n'est que très convenable de s'emparer de chaloupes, bateaux, canots, et de tout autre embarcation dont vous pourrez trouver ; de plus il faut aussi envoyer des bandes d'hommes de temps à autre aux chemins et endroits suspects afin de les arrêter.

" Je désirerais que ordre fut donné au détachement qui sera envoyé à Tétamagouche, de démolir toutes les maisons, etc., qu'on trouvera ainsi que les chaloupes, bateaux, canots ou embarcation de tout genre qui y seront mouillés prêts à transporter les habitants et bestiaux, et par ce moyen en empêchera sur une grande échelle la rencontre et l'intelligence pernicieuses entre l'île St-Jean et Louisbourg, et les habitants de la partie intérieur de la contrée. "

Sur réception de cette lettre Monckton fit venir au fort le colonel Winslow qui était campé avec son bataillon à environ un mille du fort Beauséjour et lui communiqua le drame tramé à Halifax par Lawrence et son conseil, et il fut décidé séance tenante que Winslow partirait prochainement avec son bataillon pour Pisiguit afin de s'emparer avec Murray des habitants du Bassin des Mines, mais lorsqu'il arriva à Windsor, Winslow y trouva les instructions de Lawrence qui lui ordonnaient de prendre son quartier général à Grand-Pré, et ont sait comment il s'est pris pour s'emparer des Acadiens, le 5 septembre 1755, dans l'Église de St-Charles, à Grand-Pré.

Mais revenons à Beauséjour, où était stationné Monckton avec les troupes régulières, ainsi que le bataillon néo-anglais du colonel Scott, et quelques compagnies de celui de Winslow. Nous avons vu une partie de la lettre que Lawrence envoyait à Monckton en date du 31 juillet, donnons à présent quelques extraits d'une autre lettre datée du 8 août que Lawrence écrivait à Monckton :

" Les transports pour prendre les habitants seront bientôt avec vous, puisqu'ils sont prêts à faire voile d'ici, et ils vous apporteront des instructions particulières sur la manière de les expédier et les lieux de leur destination.

" J'espère que vous aurez, en attendant accompli les directions que je vous ai données dans ma dernière relativement aux habitants. Comme il y aura peut-être beaucoup de difficulté à s'emparer d'eux, il faut autant que possible détruire tous les villages qui se trouvent des côtes nord et nord-ouest de l'isthme et qui sont situés à quelques distance du fort Beauséjour, et se servir toute sorte de méthode de détresse contre ceux qui essaieront de se cacher dans les bois.

" J'espère que vous avez agi d'après les directions que je vous ai données dans ma dernière pour saisir et s'emparer de tous les navires français et détruire les villages dans les environs de Tétamagouche et les navires qu'il y avait là. "

(à suivre)

[Le Moniteur Acadien, le 25 octobre 1887]

(suite)

Monckton ne perdit pas de temps à suivre les ordres de Lawrence, comme on le verra par les extraits que nous allons faire du journal du chirurgien John Thomas. En écrivant ce récit de l'expulsion des Acadiens de l'isthme, c'est-à-dire de la partie du Nouveau-Brunswick qui était alors habitée, nous regrettons de ne pas avons sous la main le volumes 4 des " Collections of the Nova Scotia Historical Society ".

AOÛT, A. D. 1755

10. Très chaud. Plusieurs des habitants sont venus au fort par ordre du colonel Monckton. Le capitaine Cobb a fait voile avec 30 hommes de nos soldats pour Chipoudie afin de connaître ce que fait l'ennemi là.

11. Le colonel Monckton a capturé 250 des habitants dans le fort Beauséjour, où il les a enfermés. Le major Burns avec une grade de 150 hommes en a conduit la plus grande partie au for Lawrence, où ils sont emprisonnés. Le major Prebble avec 200 hommes a reçu ordre de se rendre à Tintamarre. Le capitaine Perry avec 100 hommes est envoyé à la Pointe-à-Buot et au Lac pour amener ceux (les Acadiens) qu'on y trouvera. Le capitaine Osgood s'est emparé d'une petite bande qui emmenaient leurs animaux et les a amenés au camp. Le capitaine Lewis des Rangers est parti ce matin avec une bande de nos hommes pour Cobiguit, (aujourd'hui Truro), Ramshak (aujourd'hui Wallace) et pour quelques autre villages à 150 milles d'ici.

16. Le colonel Winslow et quatre compagnies de son bataillon font voile pour Pisiguid.

18. L'enseigne Gorham revient de Gaspareau (Baie-Verte) au camp ; il est un de ceux qui sont allés à Ramshak avec le capitaine Lewis et on l'a envoyé à Gaspareau avec les navires qu'on a pris aux Français.

21. Le Syren, capitaine Proba, est arrivé d'Halifax avec 7 transports sous son convoi pour emmener les Français.

25. Quarante des hommes de ceux qui sont allés avec le capitaine Willard à Cobéguit sont revenus, et ont emmené plusieurs prisonniers et brûlé plusieurs jolies villages.

26. Retour du capitaine Willard avec le reste des soldats qui sont partis avec le capitaine Lewis et ceux qui sont allés avec lui.

27. Le major Frye avec 200 hommes s'est embarqué à bord d'un navire pour Chipoudie pour s'emparer de tous les Français qu'ils pourront et de brûler ensuite leurs villages en cette localité et à Petitcodiac.

30. Le capitaine Gilbert est parti pour la Baie-Verte avec 50 hommes pour amener ce qu'il trouvera là d'habitants et brûler leurs maisons.

SEPTEMBRE, A. D. 1755

2. Beau temps. Le major Frye envoya le lieutenant Jno. Indicutt sur le rivage avec (en blanc) hommes pour incendier un village à un endroit appelé Petitcodiac. Après avoir brûlé plusieurs maisons et granges, ils se préparaient à mettre le feu à une nouvelle église quand un grand nombre de Français et de Sauvages sortirent du bois et tirèrent sur eux et ils (les Anglais) furent obligés de retraiter. Le docteur March qui venait de le joindre avec 10 hommes du détachement du capitaine Speakman qui avait débarqué à l'autre côté du village fut tué sur le champ avec 22 autres, 7 furent blessés et faits prisonniers.

3. Le major Frye est de retour avec ses hommes et nous a rapporté la nouvelle ci-dessus de sa défaite et des blessés parmi lesquels était le lieutenant Billing qui a reçu de graves blessures au bras et dans le corps. Retour des hommes qui étaient allés à la Baie Verte sous le commandement du capitaine Gilbert pour incendier ce village et les maisons environnantes.

6. Temps un peu pluvieux. On dit qu'on a découvert un certain nombre de Sauvages près du camp.

7. On parle beaucoup des découvertes de petites bandes de Français et de Sauvages.

9. Le camp est alarmé.

10. On a embarqué 50 prisonniers Français à bord des navires pour les transporter hors de la province.

13. Temps pluvieux. On continue à faire embarquer les habitants à bord des transports.

15. Temps pluvieux. Le major Prebble et Goldwait se rendent à Gaspareau avec 400 hommes pour examiner l'endroit, espérant d'y trouver quelques-uns de l'ennemi.

17. Temps orageux. L'enseigne Hildrake avec une petite bande de soldats arrive de Gaspareau où il n'a découvert aucun ennemi.

18. Le major Prebble est de retour avec ses hommes ayant incendié 200 maisons et granges.

27. Ce matin 200 hommes se rendent à Gaspareau sous le commandement du major Frye.

(à suivre)

[Le Moniteur Acadien, le 28 octobre 1887]

(suite)

OCTOBRE, A. D. 1755

1. Tempête. Nuit noire. Quatre-vingt-six prisonniers français ont creusé une excavation sous les murs du fort Lawrence et en sont sortis inaperçus par la sentinelle.

7. Grosse tempête de vent et de pluie. Plusieurs des navires chassèrent sur leurs ancres et étaient dans la rade quand je vins du fort Lawrence.

9. Le capitaine Rowse est arrivé ici d'Halifax pour hâter la flotte avec les prisonniers de cet endroit.

11. Orageux. On a embarqué la dernière bande des prisonniers français à bord des navires pour les transporter hors de la province.

13. Le capitaine Rowse a fait voile ce matin avec la flotte comprenant 10 navires sous son commandement. Ils emmenèrent neuf cent soixante prisonniers français avec eux, et font route pour la Caroline du Sud et la Georgie.

17. Un détachement d'hommes sous le commandement de deux enseignes est envoyé à la recherche des Français.

18. Nos hommes sont de retour au camp sans avoir fait aucune découverte à l'exception d'avoir aperçu à distance une bande de Français qui a pris la fuite dans le bois.

22. Le lieutenant Curtis se rend avec 20 hommes à la rivière Hébert à la recherche des Français.

23. Pluvieux et orageux. Le lieutenant Curtis et ses hommes à la rivière Hébert sont attaqués, en amenant des chevaux, des bestiaux et des cochons par une bande d Français et de Sauvages. Curtis ordonna à ses hommes de poursuivre, ce qu'ils ont fait en déchargeant constamment leurs fusils de chaque côté d'eux jusqu'à ce qu'ils découvrirent 100 autres hommes de l'ennemi qui se tenaient en embuscade. Curtis et ses hommes retraitèrent ; prirent possession de la levée sur le marais ; l'ennemi les poursuivis pour quelque distance, mais nos gens tinrent un feu si chaud dans leur retraite que cela arrêta ceux qui les poursuivaient et on put gagner le fort sain et sauf. Cette après-midi une petite bande de nos hommes sortit du camp sous le commandement de l'enseigne Brewer et eut un petit combat à un endroit appelé Au Lac, mais on ne fit pas grande perte de chaque côté.

26. Tempête de neige.

31. Tempête de neige qui a duré 24 heures. Temps froid.

NOVEMBRE, A. D. 1755

13. Je me suis rendu à Westcock avec le capitaine Willard et 120 hommes. Nous avons été traversés en bateaux de l'autre côté de la rivière Tintamarre. Nous avons marché cette nuit jusqu'à Eastcock où nous sommes arrivés vers 12 heures cette nuit. On prit gîte dans une grange très froide, mais on ne découvrit pas l'ennemi.

14. Beau temps mais froid. Nous nous mîmes en marche vers le lever du soleil. Nous découvrîmes trois Français et tirâmes sur eux, mais se sauvèrent dans la forêt et nous ne pûmes pas nous en emparer. Nous marchâmes à Tintamarre où nous arrivâmes vers 11 heures. Après avoir allumé un feu, tué plusieurs cochons et moutons, nous tirâmes sur une petite bande de Français, mais ils s'échappèrent dans la forêt. Nous passâmes la journée ici.

15. Beau temps. Nous brûlâmes une grande église et 97 maisons. Nous rencontrâmes le capitaine Stevens avec un renfort de 200 hommes. Le soir nous retournâmes à Wescâk où nous rencontrâmes le capitaine Hill avec les troupes régulières, le colonel Scott, le major Prebble et plusieurs autres officiers avec eux. Une partie des troupes se joignit à nous pour se rendre à Memramccok, un village qui est à environ 13 milles à l'ouest de Wescâk.

16. Passâmes la nuit à Wescât, et aujourd'hui nous avons fait des approvisionnements de vivres pour être prêts à partir ce soir.

17. Beau temps. Nous nous mîmes en route vers 11 heures hier soir avec 700 hommes sous le commandement du colonel Scott. Nous marchâmes toute la nuit ; la route était très mauvaise. Nous arrivâmes à Memramcook vers la pointe du jour. Nous cernâmes une vingtaine de maisons mais elles étaient désertes à l'exception d'un où nous trouvâmes neuf femmes et des enfants, mais pas d'hommes. Presque toutes ces femmes étaient malades. Nous brûlâmes 30 maisons et emmenâmes une femme, 200 bêtes à cornes et 20 chevaux. Nous partîmes vers 10 heures de l'avant-midi, et marchâmes jusqu'à Wescâk où nous arrivâmes avec notre bétail vers 7 heures du soir.

18. Le major Prebble se met en route avec 400 hommes, je pars avec lui vers 10 heures du matin pour Tintamarre vers le coucher du soleil. Tintamarre est à 6 milles de Wescâk. Nous dressons nos tentes, tuons huit bœufs et quelques cochons, faisons du feu, et

apprêtons nos provisions.

19. Temps froid. Nous nous emparâmes de 230 bêtes à cornes 40 cochons, 20 moutons et 20 chevaux et nous mîmes en route pour retourner à Wescâk où nous arrivâmes vers 4 heures avec nos bestiaux. Nous échangeâmes quelques coup de fusil avec l'ennemi à environ un mile avant d'arriver à Wescâk, mais sans aucune perte de notre côté.

20. Beau temps. Nous nous levâmes comme le soleil et après avoir réuni nos bestiaux, nous les conduisîmes l'autre côté de la rivière (et brûlèrent) près de 50 maisons et retournâmes au fort Beauséjour avec nos bestiaux où nous arrivâmes vers 6 heures du soir.

21. Beau temps. Le premier bataillon reçoit l'ordre de se tenir prêt à s'embarquer pour les Mines.

25. Temps orageux. Le colonel Monckton s'embarque pour Pisiquid à bord du capitaine Cobb.

27. Il a neigé hier la nuit. Le premier bataillon se hâte à faire des préparatifs pour s'embarquer pour Pisiguid.

30. Départ du premier bataillon pour Pisiguid.

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