La Déportation des Acadiens était illégale, estime le juge Michel Bastarache

le 15 septembre 2004

Steve Hachey : L'ACADIE NOUVELLE (steve.hachey@acadienouvelle.com)

FREDERICTON Le juge de la Cour Suprême du Canada, l'Acadien Michel Bastarache, estime que la Déportation des Acadiens était illégale selon les lois britanniques de l'époque.

Avec toute la retenue qui convient, la Cour d'appel du Nouveau Brunswick a souligné, hier, le 400e anniversaire de l'Acadie par une cérémonie spéciale. Comme il se doit, le seul acadien juge à la Cour Suprême du Canada, Michel Bastarache, en était le conférencier invité.

Durant sa conférence, le juge Bastarache a souligné le chemin parcouru par le peuple acadien pour se rendre où il est rendu aujourd'hui.

"Il existe certainement peu d'exemples dans le monde de petites sociétés qui ont accompli une renaissance aussi spectaculaire", a lancé le juge Bastarache, devant ses anciens collègues et amis de la Cour d'appel du Nouveau Brunswick.

Histoire oblige, M. Bastarache a rappelé les nombreuses tribulations des Acadiens, d'un point de vue juridique, depuis leur arrivée en 1604. Et c'est ainsi qu'il a abordé la question de la Déportation des Acadiens, qu'il juge illégale.

Certes, M. Bastarache n'est pas la première personne à décrier l'illégalité de ces actes commis contre le peuple acadien par les troupes britanniques, mais il est sûrement le premier juge de la Cour Suprême du Canada à le faire.

M. Bastarache a rappelé que depuis la cessation définitive de l'Acadie à l'Angleterre, par le traité d'Utrecht, en 1713, les autorités britanniques ont illégalement imposé la Common Law.

"Normalement, au plan juridique, il s'agissait d'une conquête, ce qui signifie que le droit privé existant aurait dû être préservé jusqu'à ce qu'il soit changé dé façon régulière par les nouvelles institutions disposant du pouvoir législatif. Mais ce ne fut pas le cas, souligne le juge. L'Angleterre va en fait considérer l'Acadie comme un territoire inhabité pour y introduire le droit anglais dans son ensemble dès 1719."

M. Bastarache rappelle également qu'une lettre de la reine Anne préservant la propriété des terres et permettant la pratique de la religion catholique n'est pas respectée. Il souligne que Cornwallis y ajoute que le droit de partir est limité à un an et que le droit de propriété est conditionnel au serment d'allégeance, mais que pour préserver la paix sociale, on tolère au début le refus de prêter serment.

En 1730, le gouverneur Phillips obtient cependant l'allégeance en garantissant le statut de neutralité aux Acadiens. En. 1749, tout bascule à nouveau. Dorénavant, on applique le droit anglais strictement. Les Acadiens ne peuvent pas être fonctionnaires. Un ordre de mobilisation annule le statut de neutralité. La religion d'État est imposée. Les ecclésiastiques ne peuvent tenir de charges publiques, même enseigner dans les écoles. Tout ceci est illégal parce que contraire aux promesses de la reine Anne, mais aucun tribunal n'est disponible pour assurer la règle de droit.

"L'ordre de prêter le serment de fidélité est réimposé en 1755. Ceci aussi est illégal. L'ordre de déportation est aussi illégal, notamment parce que passé sans l'assentiment de l'Assemblée", a également tranché le juge durant son discours.

Protocole exige, il a été impossible d'obtenir une entrevue avec le juge pour obtenir plus de détails sur ses positions. Quoiqu'il en soit, l'historien Fidèle Thériault, qui lutte depuis longtemps pour faire reconnaître l'illégalité de la Déportation, estime que ces commentaires ne peuvent qu'être bénéfiques.

"Ça donne un appui de taille. Ce n'est pas n'importe qui... c'est un juge de la Cour Suprême. Premièrement, je félicite le juge Bastarache de l'avoir dit publiquement. Je le trouve courageux, il aurait pu simplement se taire. C'est bien qu'il le dise. Je crois que ça va faire avancer la cause", est d'avis M.Thériault.

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