À la veille de souffler ses 400 bougies - L'Acadie, entre le mythe et la réalité

Pascal Alain, Historien et responsable du développement culturel et patrimonial à la ville de Carleton-Saint-Omer et à l'Écomusée Tracadièche

Le Devoir, édition du samedi 14 et du dimanche 15 août 2004

Ce dimanche 15 août, les Acadiens de souche et de coeur envahiront les rues afin d'exprimer leur fierté d'appartenance à la culture francophone. Ce sera le grand tintamarre, une tradition qui consiste à faire du bruit pour marquer un événement joyeux, soit la fête nationale du peuple acadien. C'est le 15 août 1884 que les Acadiens se réunissent en convention nationale à Miscouche, sur l'île du Prince-Édouard, pour se choisir un drapeau, le tricolore avec l'étoile dorée dans la partie bleue, un hymne national, l'Ave Maris Stella, et, bien sûr, une fête nationale. Célébrant cette année son 400e anniversaire de fondation, l'Acadie poursuit sa destinée sur les chemins sinueux de l'histoire...

Un peu d'histoire

Après le passage du navigateur malouin Jacques Cartier au Canada en 1534-35, la France met un terme à ses grandes explorations outre-atlantiques. D'une part, Cartier ne connaît pas le pays. Il échoue donc dans ses tentatives de colonisation, le froid et le scorbut étant les ennemis jurés des premiers colons. D'autre part, la France s'embourbe dans des guerres de religion qui font sombrer cette partie du globe dans d'interminables et fort sanglantes guerres civiles. Il faut patienter jusqu'en 1604 pour que la France reprenne le flambeau des grandes découvertes en ce Nouveau Monde bien connu des Amérindiens depuis plusieurs milliers d'années.

Il y a tout juste quatre siècles, d'autres Français débarquent en Amérique du Nord en quête d'une nouvelle vie. Ces Européens seront nommés Acadiens dans nos livres d'histoire, en plus d'être reconnus pour avoir fondé une première véritable colonie de peuplement qui deviendra plus tard le Canada. S'installant sur le territoire correspondant à la Nouvelle-Écosse actuelle, ces hommes et ces femmes venus d'ailleurs ont dû affronter différentes situations, passant de défricheurs à conquis, de déportés à déracinés, d'oubliés à ressuscités, d'assimilés à enragés... Quatre cents années se sont succédé pour faire place à un XXIe siècle décisif pour l'avenir des Acadiens des Maritimes. Certes, le million de descendants acadiens que l'on dénombre actuellement au Québec est fier de ses ancêtres et de ses racines, mais il serait prétentieux d'affirmer qu'il doit lutter pour sa survie au même titre que ses compagnons des provinces maritimes. À n'en pas douter, les populations francophones du Nouveau-Brunswick, et surtout de la Nouvelle-Écosse et de l'Île-du-Prince-Édouard, sont plus vulnérables et plus facilement divisibles parce que minoritaires en leur propre pays. Leur lutte pour la sauvegarde de leur culture et de leur avenir en tant que peuple est inscrite en permanence à l'ordre du jour. Au fil du temps, des troupes tombent au combat, certaines autres s'essoufflent, d'autres encore ont renoncé à se battre pour diverses raisons. Tout bien considéré, malgré la grande fête qui se prépare, le statut actuel de l'Acadie s'apparente à une collectivité minoritaire au destin incertain.

Question de survie

Chose sûre, les Acadiens ont su développer une véritable société. Il n'y a pas d'exemple comparable chez les autres minorités francophones du Canada : institutions à caractère politique, entreprises, associations et événements témoignent de leur vitalité et de leur refus d'être submergés par la marée culturelle anglo-saxonne. Leur combat pour la survie est sans répit, et rien n'indique qu'une trêve est sur le point de survenir. Pourtant, le XXIe siècle semble porteur de menaces bien plus terribles que la Déportation de 1755; j'ai nommé l'uniformisation culturelle, l'assimilation au compte-gouttes et l'acculturation inconsciente. Un fléau plus ravageur que le Grand Dérangement, est-ce possible ? J'en conviens, plus que jamais, la fête nationale du 15 août est célébrée de façon remarquable, rendant le tintamarre plus bruyant qu'un défilé de la coupe Stanley.

Cependant, la réalité rattrape nos frères et soeurs acadiens. Les statistiques révèlent que leur taux de natalité est en baisse constante et que la courbe des décès est sur le point de dépasser la courbe des naissances ! L'histoire est tapie dans l'ombre et semble guetter l'Acadien, qui doit lutter continuellement pour que l'on reconnaisse son droit à l'existence.

Au recensement de 1961, les Acadiens représentent respectivement 39,5 %, 11,9 % et 16,6 % de la population totale du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l'Île-du-Prince-Édouard. Quarante ans plus tard, au recensement de 2001, l'état de la situation n'est guère reluisant.

Statistique Canada nous apprend que le pourcentage de la population de langue maternelle francophone pour ces mêmes provinces maritimes se situe à 32,4 %, 3,7 % et 4,2 %. Force est de constater que la réalité est telle que les Acadiens des Maritimes tombent massivement sous les feux de l'assimilation.

Contradiction ?

Dispersés, sans territoire officiel et sans statut politique, les Acadiens forment-ils un peuple mythique ? Ne sont-ils qu'une construction de l'esprit ? En tant que minorité culturelle vivant au Canada et à titre de fondateurs du Canada contemporain, ne peuvent-ils pas bénéficier d'une véritable reconnaissance qui leur permettrait de traverser en toute quiétude les siècles à venir ? La récente nomination de l'artiste multidisciplinaire Herménégilde Chiasson à titre de représentant de la couronne britannique en sol néo-brunswickois laisse un goût amer dans la bouche de nombreux Acadiens, qui y voient une contradiction pour le moins frappante. Nommé gouverneur-général de la province dans la foulée des célébrations du 400e anniversaire de la fondation de l'Acadie, Herménégilde Chiasson déclare le jour même de sa nomination que les Acadiens ne vivent plus dans le passé et qu'ils n'ont pas besoin de recevoir d'excuses ni d'une reconnaissance canadienne de la déportation des Acadiens pour aller de l'avant. Le contestataire d'hier est-il le muselé de demain ? Comme si Gilles Vigneault s'empressait de succéder à Lise Thibault, lieutenant-gouverneur du Québec...

À bien y penser, que feraient les Acadiens des excuses du Canada ? Les excuses ne garantissent pas l'avenir d'un peuple. Elles ne servent qu'à l'endormir... Par contre, pour ce qui est d'une véritable reconnaissance, c'est une tout autre histoire. En décembre 2003, de nombreux Acadiens se réjouissent de la décision du cabinet fédéral d'entériner une proclamation royale qui reconnaît le préjudice causé aux Acadiens lors du Grand Dérangement. D'où le problème... Cette reconnaissance n'a qu'une portée symbolique. Elle se résume à un laminé accroché sur un mur. Il aurait fallu qu'elle serve de tremplin à un éventuel plan de relance économique de certaines régions acadiennes à la situation précaire. Il n'en fut rien. Les Acadiens ont même dû multiplier les pressions auprès d'Ottawa pour obtenir du financement pour l'organisation des fêtes du 400e de l'Acadie. Reconnaissance ? Non, il faudrait plutôt parler de méconnaissance ou d'ignorance !

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